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C’est jeudi, c’est feuilleton : Et Fanette commença à réviser ses examens.

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Résumé de l’épisode précédent : Fanette, étudiante débarquée de province, sympathise avec un groupe de jeunes gens farfelus. Parmi eux, Arnaud, Laurent, Leena. Et d’autres.

(Ce billet est le cent unième.)

C’est bien beau de glandouiller en buvant des machins et en perdant son temps, mais le mois d’avril arrive. Et quand le mois d’avril arrive, on se dit : « Aaaaaaaah le mois prochain c’est le exams aaaaah j’ai rien foutu pas cool ».

Et là, deux stratégies : soit on s’enferme chez soi pour bosser, soit on ne le fait pas et on continue de glandouiller, en relisant ses cours pensivement sur son canapé, en pyj’ à trois heures de l’après-midi.

Il y a aussi ma stratégie à moi : je m’enferme en bibliothèque de 10 heures (midi si je vais à Beaubourg sauf le week end) et je sors à 5 heures en voyant double (d’avoir lu), le dos et la nuque raides, les fesses et les reins douloureux.

Le groupe se disloqua progressivement. Je ne sais trop ce que firent les autres, mais je sais ce que je fis moi : biblio, donc, seule, ou avec Philippe, ou Laurent, mais pas très souvent car ils bossaient mieux chez eux.

Durant cette période, je vis cependant beaucoup Ophélie, qui habitait à deux stations de métro de chez moi. Elle révisait chez elle, mais je savais qu’elle se levait vers 1o heures, était habillée à midi et se mettait au boulot dans l’après-midi. Sa stratégie de révision me paraissait le signe d’un esprit supérieur : il fallait être drôlement sûr de soi pour réviser aussi inefficacement en apparence. Vers six heures, en revenant de bibliothèque, je passais parfois chez elle, et nous buvions un verre ensemble. Cela durait moins longtemps que dans les mois précédents, mais nous avions le poids pénible de nos révisions qui pesait sur nous, donc cela nous rendait plus philosophes, sur le thème « le poids de la vie qui pèse sur nous ». Donc, si les moments que nous passions ensemble étaient plus courts, ils étaient plus intimes et plus intenses. Après avoir discuté, toutes pleines du poids de la vie, je faisais à pied les deux stations qui me séparaient de chez moi, dans la douceur parfois fraîche de mai, pour détendre et faire fonctionner les muscles de mes jambes et de mes cuisses endoloris par tant de station assise et d’immobilisme.

Parmi ceux qui révisaient, il y avait Mirabelle. Mirabelle était une fille blonde, avec des cheveux dorés, un visage rond, enfantin, simple, et qui, un peu comme moi, avait adhéré au groupe avec candeur. Elle avait deux frères plus vieux qu’elle, et dans le groupe, c’était une sorte d’éternelle petite soeur. Elle suivait ce que nous faisions, écoutait, riait, parlait peu, mais dès l’approche des examens elle disparut, engloutie par les révisions.

Mirabelle, en mars, avait beaucoup sympathisé avec Ophélie, qui vécut les révisions de Mirabelle un peu comme une trahison. Certes, elle ne s’opposait pas à ce que Mirabelle révisât, me dit-elle un jour. Et même, elle comprenait très bien. Mais, après tout ce qu’il y avait eu entre elles, elle ne comprenait pas ce silence.

Après avril, et ses révisions, il y eu mai et son stress. Les révisions augmentèrent de rythme. Je ne voyais plus personne, ou quasi. Quand j’en avais marre de réviser, j’appelais des copines perdues de vue que je redécouvrais, avec un léger sentiment de culpabilité, et nous faisons des pauses ciné ou papotages dans nos révisions.

Puis les exams commencèrent ; en période d’exam, je suis fatiguée car je dors très mal. Je passe des nuits semi blanches, en dormant éveillée, en quelque sorte, dans un sommeil pas très réparateur, peuplé de rêves, mais qui me laisse la sensation de ne pas avoir dormi. Mes muscles se tétanisent facilement, j’ai des crampes dans les mollets, les cuisses, sans oublier la crampe de l’écrivain. Après chaque examen, j’avais à nouveau envie de dormir, mais les siestes me faisaient passer de vraies nuits blanches, dont je sortais le cerveau ébouillanté. Donc, il me fallait me contenter de mes nuits, telles qu’elles se déroulaient, et ne pas trop forcer sur les jours.

Les écrits s’étalaient sur douze jours, et une semaine après commençaient les oraux. Je redormis normalement après le dernier écrit. Mais durant ces 12 jours je n’avais plus ni vu ni appelé personne ; nous ne nous étions guère que croisés, lors des examens. Le lendemain du dernier écrit, après avoir dormi, je rappelai Ophélie.

Quelque chose avait changé. Elle était encore plus lymphatique. Elle ne semblait pas pressée de me voir, alors que j’avais hâte de sortir de cette période de torpeur et d’abrutissement crispé. je passai la voir, pour forcer un peu le destin et passer une bonne soirée, mais elle était éteinte, fatiguée, trainaillant d’un air mou, parlant de révision. Je me sentis mise dehors.

Cette sensation se poursuivit les jours suivants. Je retournai au café, morne, avec seulement Arnaud et Franck. Nous passâmes un très bon moment, mais sans les autres, je me sentais orpheline. Tout le monde révisait, et c’était comme si tout avait changé. Moi aussi, du coup, je me lançai dans la révision des oraux, mais avec perplexité. Les oraux eurent lieu sans que je revois personne. Je n’eus, d’agréable et d’inchangé, que Mirabelle, au téléphone, qui, de sa voix gaie et enjouée habituelle, m’avoua avoir encore trop de révisions pour qu’on se voit. Au moins n’avait-elle pas l’air de se demander qui j’étais.

Les oraux s’achevèrent et je me sentis perplexe. N’allai-je revoir personne avant les résultats? N’étions-nous plus amis? fallait-il attendre septembre? Mirabelle m’appela pour me demander pourquoi Ophélie ne répondait pas. J’avouai mon ignorance. J’étais agacée, et je revis, derechef, d’autres amis : après l’intensité des examens, mes journées me semblaient vides, il fallait que je les remplisse. Ce qui était étrange, c’est que j’avais eu une vie jusqu’en mars et avril, et que celle-ci semblait s’être évaporée sans laisser aucune trace, comme un songe. Mes amis du printemps étaient devenus des fantômes.