Le retour de Pierre-Henri

Attention, ce n’est pas parce que le mot Kazakhstan me rend songeuse, que je vais y aller la semaine prochaine. En plus d’être attendrie par l’Asie centrale, je suis trouillarde et déjà, aller en banlieue me fait tout drôle – alors le Kazakhstan.  Je précise (n’allez pas m’imaginer aventurière).

Ouf, quand Pierre-Henri, ma bouée, mon secours dans cet univers impitoyable, effectue une souriante apparition à mes côtés, je m’accroche à lui, le mot n’est pas trop fort, avec un enthousiasme qui pourrait parfaitement passer pour une passion ardente. Oui, ardente, encore que Pierre-Henri, bien qu’ayant, ce jour-là, opté pour une chemise blanche, à col ouvert, un peu trop grande, non cintrée, qui le conforte dans son look de bon jeune homme de bonne famille du VIIème arrondissement tendance « penseur » (Neuilly, ma chère, c’est tellement parvenu), et le look de bon jeune homme est l’un de mes points faibles (avec le look bucheron, mais à Paris, il y en a super peu, c’est mon drame), encore que, disais-je, et surtout avec ces dramatiques Ray ban, Pierre-Henri n’ait pas le physique de l’homme qui inspire quoique ce soit d’ardent – je dis ça avec une tendresse aussi violente que rétrospective – et puis d’ailleurs, justement le truc c’est que finalement on ne sait jamais trop, au fond, à quoi s’en tenir, dans ces affaires-là – sous la cendre, le feu, etc. Et puis je m’accroche vraiment à son bras. Je tente aussi le regard lourd de sens – ça ne marche pas – puis le regard qui tue – pas davantage. J’ai juste l’air de regarder mon copain après une atroce séparation de 30 minutes. De loin, Eglanteen sourirait quasi avec attendrissement. En revanche, l’oncle Yulbrynné (mais moins bien) à la boucle d’oreille me fixe avec froideur. Bon.

On conclut sur le Kazakhstan. C’est beau, mais pas hyper développé question tourisme, sauf si aventurier, hélas, pas mon cas, ni celui de Pierre-Henri. Le photographe nous offre son oeuvre. C’est gros, il va falloir qu’on se le trimballe. Mais merci.

Pierre-Henri se rapproche du buffet, moi aussi, c’est mon autre point faible, mais j’ai réussi à ne pas le montrer – preuve de l’extraordinaire contrôle de moi que mon éducation m’a donnée, et je n’en suis pas peu fière. Voyons ça. Mini sandwich tomate chèvre concombre tapenade, roulade de saumon au fromage et à l’aneth…. Et tout a du goût, donc ça ne vient pas d’un traiteur. Ou alors, LE traiteur. J’avise tout d’un coup la jeune fille asiatique en tenue officielle de soubrette du XIXème siècle, elle passe entre les convives.

– C’est super bon, lui dis-je avec enthousiasme, parce qu’elle a un regard différent du regard des deux autres extra – m’est avis qu’elle ne doit pas avoir l’habitude, elle est moins mécanique qu’eux dans ses gestes.

– Oui ! dit-elle de l’air de celle qui a goûté (je pouffe).

– C’est qui, le traiteur ?

– Ma tante, dit-elle, avec un grand sourire, avant de s’éloigner, il n’est que temps, Eglanteen a eu un mouvement vers elle en nous voyant parler, le personnel ne sait plus se tenir. Remarque les invités non plus : on ne parle pas au personnel, qui du reste est invisible.

– Laisse-la travailler, dit Pierre-Henri en jetant un coup d’oeil à sa tante, laquelle n’a finalement pas bougé, mais suit la jeune fille des yeux.

– Mais je la laisse.

– Tu lui parles.

– Oui ben on peut, quand même ? C’est la seule qui a l’air normale, ici.

Pierre-Henri fait une tête genre, euh, bouh, oh, elle dit des trucs, elle, bouh… agaçante, vu ce que j’ai dit. Pendant ce temps là, je tente le sandwich poire-bleu-raisin et le lard pruneau, pas ultra créatif, mais bon. Vive la tante. Celle de la jeune fille, je veux dire. Puis il n’y a personne autour de nous aux alentours du buffet et j’en profite :

– On y va ? Tu avais dit que tu devais passer.

– Oui, oui, je… oui.

– Si tu veux je peux y aller, moi, je veux dire seule, hein. Si tu as des affaires de famille.

– Mais non.

– Bon.

– Une minute.

Ouais, bon. Je suis trop gentille. Il s’éloigne, je médite : chacun est libre d’avoir la famille qu’il veut, ne jetons pas la pierre ; je ne suis pas moins libre, toutefois, de ne pas l’apprécier ; donc, vu que Pierre-Henri n’a pas la fibre de la rupture familiale – on n’en a pas parlé, mais c’est un pressentiment – et que du reste je n’ai pas non plus la fibre à pousser à la rupture familiale, la sagesse ne serait-elle pas de stopper net la relation ? Je sens qu’après les week end amicaux, on aura les festivités familiales, et ça ne va pas me plaire. C’est la sagesse. Ça l’est, indubitablement.

Le truc, c’est ça, voyez : tandis que je regarde Pierre-Henri traverser la pièce de sa démarche maladroite et bien élevée, un attendrissement coupable me prend. Cette coupe de cheveux ratée, ces épaules osseuses qui soutiennent sans grâce la chemise pourtant blanche, pourtant ouverte, pourtant intellectuel parisien (il a essayé), ces chaussures bateaux proprettes avec des chaussettes, c’est tellement non, c’est tellement terrible, c’est tellement impossible que je sens que je me vide de toutes mes forces, comme quand on monte dans l’ascenseur très vite. Je devrais tellement me sauver que je ne me sauve pas. Je suis maudite, je meurs sur place, avant de ressusciter, je souris, je me dis : un petit peu encore et demain j’arrête.

Demain, j’arrête, sûr, parce que je le sais, c’est absolument certain : il faut quitter Pierre-Henri.

8 réponses à “Le retour de Pierre-Henri

  1. Quittera.. quittera pas… Je prends les paris !

    J’adore ta manière de raconter les choses…

  2. Mais c’est sexy le Kazakhstan http://tinyurl.com/3yp8luy
    Pierre-Henri ne pourra jamais concurrencer Borat Sagdiyev : )

  3. Et comment, que c’est sexy !

  4. Très bien raconté Fanette, j’attends la suite avec impatience!

  5. Enfin de retour !! c’est un bonheur de te lire à nouveau… vivement la suite !
    Fanylle

  6. Pauvre Pierre-Henri. Il fait pourtant des efforts.

  7. Matt : je m’attelle à la suite, promis.

    Fanylle : tes compliments sont un bonheur pour moi…

    Isabelle : Ça ne va pas du tout. Tout le monde dit pauvre Pierre-Henri. Je suis trop gentille.

  8. bon, alors là je dois te rassurer, moi Pierre-Henry je suis contre depuis le début! il est gentil, gentil, certes, mais enfin non, il ne me fera jamais rêver. il réduit l’horizon à la place de l’agrandir. la suite, la suite, c’est tellement bon de te lire de nouveau!