Rester soi même, c’est pas facile, mais il le faut

(eh non)

(ceci n’est pas un post sur le développement personnel)

(si certains pensent que j’ai été longue à ne pas venir, ils ont raison)

Non, dis-je donc avec fermeté à Hana, on doit toujours rester soi même.

Et là,j’ai une idée. Alors que je suis en train de m’endormir, il me vient à l’esprit que si je pouvais parler, ça me tiendrait éveillée.

Or, parler, je sais faire.

Je me lance. Avec la lucidité fine que donne l’heure tardive et le vin, je développe une analyse, pas mal vue du tout, et je m’y accroche avec l’énergie du désespoir. Surtout, ne pas perdre le fil.

On ne peut pas se changer et on ne doit pas. On ne peut pas parce que l’on est soi même. On l’est forcément. Donc, quand on s’observe, on reste soit même tout en s’observant. Les observations que l’on fait sur soi même sont donc fatalement biaisées par son propre prisme. Je me livre à une brillante comparaison en essayant de me regarder moi-même , devant Hana qui essaie de se concentrer mais qui, le vin aidant, fatigue : je peux regarder mes bras, mes mains, mes pieds, mais pas moi même en entier.

– Mais un miroir ? suggère Hana.

– Non un miroir ce n’est pas toi. C’est comme Magritte, dis-je triomphalement, en levant mon verre vers le plafond.

– Ta quoi ? fait Hana (ellen’est pas branché culture, ne lui jetons pas la pierre).

– Le type qui a peint une pipe et en dessous y a écrit : ceci n’est pas une pipe.

Hana ne me suit plus, mais elle essaie ; elle fronce les sourcils et reboit un petit coup.

– C’est une grippe ou une pipe ?

Dedieu.

– C’est un peintre, René Magritte, etc (je lui explique).

Ça y est, elle pige, mais elle a perdu le fil. Pourquoi on parlait de pipe, hein ?

– De même, dis-je lentement, en reprenant depuis le début, que Magritte a peint une pipe, qui n’est pas une pipe, mais la représentation d’une pipe…

– Ouais… murmure Hana, qui a du mal, elle lutte contre le sommeil.

– … de même, quand tu te regarde dans un miroir, tu ne te vois pas toi-même, tu ne vois qu’une représentation de toi-même.

– Ah ouais, souffle Hana.

Silence. Non, une alarme de voiture se déclenche.

– mais pourquoi on parle de miroir ?

– Parce que je voulais te dire que l’on a du mal à se voir soi même, concrètement ou abstraitement.

– Ah ouais, ouais.

Elle a suivi ; l’alarme de voiture se tait.

– Bon, reprends-je, donc déjà, on a du mal à se voir soi même ; mais en plus, quand onveut ne plus être soi même, se changer pour plaire à l’autre, tu imagines ?

– Mmm, fait Hana (qui s’endort).

Je poursuis derechef :

– Tu veux te transformer pour plaire à l’autre…

– Juste pour qu`y m’fout’la paix, pis qu’y reste, murmure Hana.

– Oui, whatever, quoi. Mais c’est toi, qui est toi, qui essaie de te transformer, alors que tu ne peux même pas te voir toi-même. C’est comme si tu essayais de te maquiller sans miroir.

Hana, lq tête dans l’oreiller, glousse:

– Ah ah ah, j’adore discuter avec toi… Mais t’as raison.

– Non mais tu comprends, tu ne peux juste PAS, donc tu ne dois pas essayer, c’est trop risqué. Tu ne sais pas ce que ça va donner, ça va être n’importe quoi. Ni toi ni pas toi.

Hana exhale un rire, mais au fond, elle dort déjà. Moi, en revanche, je suis fraîche comme un gardon. Là, normalement, je suis prête pour rédiger un petit manuel de philo, ou un guide de développement personnel. Du coup, je vaisme doucher et me démaquiller dans la minuscule salle de bain de Hana, non sans avoir bu un verre d’eau (ma stratégie anti gueule de bois). Après la douche, je rebois un verre d’eau et vais me coucher dans le canapé lit à côté d’Hana, où je ne tarde pas à m’endormir, en oubliant de fermer les volets.

Le développement personnel à quatre heures du matin, ça tue.

3 réponses à “Rester soi même, c’est pas facile, mais il le faut

  1. C’est un des trucs qui manquent le plus quand arrive la parentalité (la parentalité c’est un peu comme la presbytie) : redécouvrir la phénoménologie à 4h du matin avec 1,2g dans le sang.

  2. moi qui croyais que ce qui manquait le plus, c’était pouvoir prendre un rdv chez le coiffeur sans tenir compte des horaires de crèche … que je suis superficielle !