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Hana et le jeune homme en pull

– Tu crois que j’avais tort de lui téléphoner ? me demande Hana.

Il s’agit de (disons son nom) Stéphane. L’ex, celui qui l’a si vilainement laissé tomber. Nous en sommes toujours là, eh oui. On n’avance pas beaucoup. J’ai essayé de lui parler de l’avenir et de la nécessité de ne pas se focaliser sur le passé. Sages paroles, hein ? Mais que peut-on contre la tristesse? Contre le souvenir ? Contre l’envie de comprendre, d’analyser, répertorier ? Je me tais. Moi aussi, il m’est arrivé de me poser des questions. Nous sommes toujours dimanche après midi, et Hana se demande toujours, dans un coin de son esprit, comment fait Sandra.

– Je ne sais pas, dis-je avec sincérité à Hana.

En effet, que répondre à cette question ?

– Je t’ennuie, dit Hana, sensibilité à fleur de peau.

– Non, mais je ne sais pas. Dans quel contexte ? Tu veux savoir si tu avais tort, je te demande dans quel contexte tu lui téléphonais.

– La première fois que je l’ai vu c’était à un anniversaire, soupire Hana. L’anniv d’une copine. Il était là. C’était bizarre, un fête somme toute assez bourgeoise, des invités bien mis, la maîtresse de maison, son mari, ses enfants… Il y avait une ambiance si convenable, si sérieuse. Et en même temps, on aurait dit que tout le monde jouait à être adulte. Et puis il y avait lui et j’avais l’impression d’avoir 16 ans. Il portait un pull blanc à col rond, un jean droit et des sebago dans lesquelles il était pieds nus et je ne voyais que son cou, ses hanches et ses pieds, avec les tendons très nerveux, très fins. Il avait les pieds d’un homme hyper sensible, et le cou d’un ado. C’était touchant. Il a été charmant ce soir là. Délicat, cultivé, drôle… C’était son être social. Il lui fallait être en société pour être comme ça. Sinon, il était plutôt grognon et agacé. Mais je ne le savais pas. On s’est quitté en se promettant de se rappeler pour voir un film… J’étais bouleversée. Je pensais à lui. Mais je ne l’ai pas appelé. C’est lui qui l’ a fait. C’était génial, non ? Ça voulait dire quelque chose, tu ne crois pas ?

– Ça voulait dire qu’il voulait te revoir.

Mais il faut croire qu’au bout d’un certain temps il en a eu marre. C’est certainement difficile à comprendre pour Hana. Elle fait la femme occupée, belle, sophistiquée, et au fond, dès que le temps est venu, elle ne songe qu’au mariage et à l’appartement trois pièces. C’est une conception de la vie, un choix, un rêve, un espoir. Le bonheur Ikea. Les mecs draguent une executive women et finalement ils sentent qu’ils vont avoir à choisir la couleur des rideaux. Le problème, c’est qu’elle ne tombe, ou plutôt n’est attirée que par des mecs qui n’en ont rien à foutre de la couleur des rideaux, soit c’est du jeune cadre ou consultant qui « monte sa boîte », soit de l’artiste qui crée mais on ne sait quoi, mais qui drague à mort…. Le style père de famille l’emmerde. Elle se dit que l’amour sera plus fort que tout….

Appeler ou ne pas appeler Sandra ?

– Tu vas appeler Sandra, me demande Hana, et je me pose moi aussi, quoique chaotiquement, la question.

Vais-je l’appeler ? Toutefois,je prends mon petit dej d’abord. Le croissant, tout au beurre, fond dans ma bouche, avec le chocolat qui est encore chaud. Je bois une gorgée de café. Le soleil, dehors, est joli comme tout. Vive Paris. Vive le café.Vivent les pains au chocolat au beurre. Vive la France. Vive tout.

– Je me demande comment elle fait, murmura Hana et je me demande si ça va marcher ce coup-ci. Je voudrais bien savoir, si je pouvais trouver le moyen de ne pas recommencer avec mes erreurs. Comment tu fais pour que ce soit le mec qui te court derrière et pas toi qui cours derrière lui….

– Tu sais, je ne sais pas si elle va nous donner le truc, dis-je. Ça se fait naturellement.

– Quand je pense que j’ai attendu certains soirs qu’il passe parce qu’il m’avait dit qu’il passerait peut-être. Bon, il lui arrivait de passer, mais vraiment pas souvent… Et toutes les fois où je suis allée à des soirées avec ses copains et je me demandais ce que je foutais là… J’avais rien à leur dire. Et je me disais : ce sont ses amis, on va apprendre à se connaître, ou alors quand je lui disais que je ne voulais pas y aller, il y allait sans moi….

Elle me jette un coup d’oeil : mais ne t’en fais pas, ça va, maintenant je veux juste surmonter ça et aller de l’avant.

Bon. Tant mieux. Ressasser ne sert pas à grand chose, et je ne sais pas comment je pourrai la consoler. Ça n’est pas mon fort. J’ai tendanceà penser qu’il vaut mieux parler d’autre chose. Question : Sandra est-elle le sujet idéal ?
Hum. En tout cas, je veux saluer un bonheur : celui de tremper son croissant dans le café, même si ça emt des miettes aprtout. Et j’ai deux questions qui vont avec :
Pourquoi le croissant au beurre est toujours le meilleur ?
(on notera que j’ai une micro obsession sur le beurre et le gras ; et pourtant, moins qu’avant, il faudra que j’en parle )
Pourquoi le gras fait-il grossir ? Et pourquoi ne faut-il (à ce point) pas grossir ? Et donc pourquoi pense-t-on au gras quand on trempe son croissant dans son café ?
On a attend le point godwin féminin. Tu sais, quand tu regardes éclair au café et que quelqu’un te dit : c’est mal….

 

Réveil métaphysique

Je me réveille avec l’impression que l’on braque un projecteur dans mes yeux depuis des heures ; peut-être même ai-je l’impression fugitive qu’un enquêteur de la CIA, gaulé comme Bruce Willis jeune, et flanqué de Brad Pitt, essaie deme retourner les paupières. J’émets de bredouillantes et baveuses protestations, tout en agitant (ou en rêvant que j’agite) les bras.

Un oeil s’entrouvre, et pas de Brad Pitt, ni de Bruce Willis. Le projecteur, c’est le soleil. Foutre dieu, comme aurait dit Musky, je vis à Paris, et le jour où j’oublie de fermer les volet, il y a du soleil. Je me dresse brutalement sur le lit, TRES MAUVAISE IDEE, une barre de fer me cogne le crâne, çan’est toujours ni Brad ni Bruce, mais le vin blanc. Aie.

– K’fé, bavé-je à moi même.

Hana a disparu. On dirait. Je ferme les volets. Aaaaah. Pénombre douce à mon nerf optique, surtout le droit. Où le café ? Où est la machine à café ? Où sont l’eau ? Non, l’eau, il n’y en a qu’une. Robinet ?

– J’ai fait du café si tu veux, claironne une voix stridente qui s’avère, décodage effectué, être celle d’Hana.

– Chut, dis-je.

– Tu crois que Sandra a passé une bonne nuit avec Jean-Pierre ?

Ça me revient. Jean-Pierre. Ah oui. Kafé. Café, je veux dire. Sandra. Ah. moi, j’en étais restée à Hana, mais elle, pas. Bon. Je lui voue momentanément un amour intense, aprce qu’elle m’a fait du café sucré. Elle dit des mots, qui tombent sur le plancher de sa chambre comme les perles d’un collier. Les rues klaxonnent. A travers la fente d’un volet, une fenêtre scintille dans mon oeil, exprès. Le vin blanc après le rhum, c’est mal. Je me demande si je vais acheter une machine à vapeur.

Et pourtant, peu à peu, comme chaque matin, quoique moins vite, le réel se remet en place. Enfin, ce qu’on en perçoit. Mais je n’investigue pas plus intellectuellement, il est trop tôt. La lumière devient un petit doleil parisien ; on entrouvre la fenêtre et on se concentre sur les trois jolies boutiques du coin de la rue en bas, qui nous font un bout d’ambiance à la Amélie Poulain. Il me revient que leurs pains au chocolat, dégoulinants de gras, avec une croûte sucrée, sont excellents, et j’entame un débat avec moi même pour savoir si je vais descendre en acheter.

Hana me regarde avec curiosité et soudain, non seulement j’entends sa voix, mais je comprends les mots : elle dit :

– Eh ben. Tiens, y a des pains aux chocolats.

– Oh ! (je coasse) D’en bas ?

– ben ouais, je vais pas aller les chercher sur le boulevards, surtout qu’elle est fermée.

– je vais t’épouser, dis-je avec ravissement.

-Ah non, dit-elle. Tu ronfles. Et elle ajoute : Tu vas l’appeler, Sandra, pour savoir ?

 

Rester soi même, c’est pas facile, mais il le faut

(eh non)

(ceci n’est pas un post sur le développement personnel)

(si certains pensent que j’ai été longue à ne pas venir, ils ont raison)

Non, dis-je donc avec fermeté à Hana, on doit toujours rester soi même.

Et là,j’ai une idée. Alors que je suis en train de m’endormir, il me vient à l’esprit que si je pouvais parler, ça me tiendrait éveillée.

Or, parler, je sais faire.

Je me lance. Avec la lucidité fine que donne l’heure tardive et le vin, je développe une analyse, pas mal vue du tout, et je m’y accroche avec l’énergie du désespoir. Surtout, ne pas perdre le fil.

On ne peut pas se changer et on ne doit pas. On ne peut pas parce que l’on est soi même. On l’est forcément. Donc, quand on s’observe, on reste soit même tout en s’observant. Les observations que l’on fait sur soi même sont donc fatalement biaisées par son propre prisme. Je me livre à une brillante comparaison en essayant de me regarder moi-même , devant Hana qui essaie de se concentrer mais qui, le vin aidant, fatigue : je peux regarder mes bras, mes mains, mes pieds, mais pas moi même en entier.

– Mais un miroir ? suggère Hana.

– Non un miroir ce n’est pas toi. C’est comme Magritte, dis-je triomphalement, en levant mon verre vers le plafond.

– Ta quoi ? fait Hana (ellen’est pas branché culture, ne lui jetons pas la pierre).

– Le type qui a peint une pipe et en dessous y a écrit : ceci n’est pas une pipe.

Hana ne me suit plus, mais elle essaie ; elle fronce les sourcils et reboit un petit coup.

– C’est une grippe ou une pipe ?

Dedieu.

– C’est un peintre, René Magritte, etc (je lui explique).

Ça y est, elle pige, mais elle a perdu le fil. Pourquoi on parlait de pipe, hein ?

– De même, dis-je lentement, en reprenant depuis le début, que Magritte a peint une pipe, qui n’est pas une pipe, mais la représentation d’une pipe…

– Ouais… murmure Hana, qui a du mal, elle lutte contre le sommeil.

– … de même, quand tu te regarde dans un miroir, tu ne te vois pas toi-même, tu ne vois qu’une représentation de toi-même.

– Ah ouais, souffle Hana.

Silence. Non, une alarme de voiture se déclenche.

– mais pourquoi on parle de miroir ?

– Parce que je voulais te dire que l’on a du mal à se voir soi même, concrètement ou abstraitement.

– Ah ouais, ouais.

Elle a suivi ; l’alarme de voiture se tait.

– Bon, reprends-je, donc déjà, on a du mal à se voir soi même ; mais en plus, quand onveut ne plus être soi même, se changer pour plaire à l’autre, tu imagines ?

– Mmm, fait Hana (qui s’endort).

Je poursuis derechef :

– Tu veux te transformer pour plaire à l’autre…

– Juste pour qu`y m’fout’la paix, pis qu’y reste, murmure Hana.

– Oui, whatever, quoi. Mais c’est toi, qui est toi, qui essaie de te transformer, alors que tu ne peux même pas te voir toi-même. C’est comme si tu essayais de te maquiller sans miroir.

Hana, lq tête dans l’oreiller, glousse:

– Ah ah ah, j’adore discuter avec toi… Mais t’as raison.

– Non mais tu comprends, tu ne peux juste PAS, donc tu ne dois pas essayer, c’est trop risqué. Tu ne sais pas ce que ça va donner, ça va être n’importe quoi. Ni toi ni pas toi.

Hana exhale un rire, mais au fond, elle dort déjà. Moi, en revanche, je suis fraîche comme un gardon. Là, normalement, je suis prête pour rédiger un petit manuel de philo, ou un guide de développement personnel. Du coup, je vaisme doucher et me démaquiller dans la minuscule salle de bain de Hana, non sans avoir bu un verre d’eau (ma stratégie anti gueule de bois). Après la douche, je rebois un verre d’eau et vais me coucher dans le canapé lit à côté d’Hana, où je ne tarde pas à m’endormir, en oubliant de fermer les volets.

Le développement personnel à quatre heures du matin, ça tue.

Le bonheur en amour

– Je me demande, poursuit Hana, si ça n’est pas ça le piège, croire qu’on peut être heureux en amour. Ça fait con, de dire ça. Tout le monde dit ça. Il n’y a pas d’amour heureux, gnagna gna, je ne me serais jamais vu en train de dire une telle ânerie s’il n’était pas tard, si je n’avais pas rangé mes fringues – il fallait que je fasse un truc – et si je ne buvais pas du vin avec toi.

– Et donc, poursuit-elle, et on voit qu’elle réfléchit en parlant, les mots lui viennent peu à peu, méditatifs, un jour, une petite poussière se glisse et on ne dit rien parce qu’on ne veut pas troubler la fête, l’harmonie. On est si bien à deux ! Une petite poussière, soyons raisonnable, c’est normal, on passe l’éponge, enfin le chiffon à poussière, et il y en a une autre, puis une autre, et bientôt on dépoussière tous les jours. En se convaincant que tout va bien, et tout va bien, après chaque dépoussiérage. Et on ne veut pas le voir.

– Tu ne crois pas que tu exagères ?

– Je n’exagère pas. Je te parle de mes sentiments. Je les connais. Et le problème, c’est quand on commence à admettre que peut-être, il y a un truc…. Mais non. On déconstruit tout, puis on reconstruit. C’est à dire que l’on se persuade que le problème vient de soi, et que l’autre a de bonnes raisons. On rationalise. Au bout d’un moment, on n’est plus soi même, on est totalement dans la logique de l’autre, et le pire, c’est qu’on a voulu s’y mettre.

– J’ai un peu de mal à te suivre.

Hana ne répond pas. C’est bien dommage, me dis-je, que nous soyons si désaccordées. Elle a beau parler d’une voix calme, je sens sa tristesse, alors que je sens monter en moi l’euphorie. Il fait bon, j’aime bien cette lumière rougeâtre dans la pièce, j’aime la fenêtre ouverte et les bruits de voix, dans la rue, de clients qui quittent le café du bout de la rue, dont on perçoit le bourdonnement doux. Je voudrais bien qu’on dise qu’on est bien et que l’heure est agréable et que c’est génial d’être à Paris. C’est la question que je me pose toujours : je n’ai jamais vécu ailleurs, est-ce que c’est seulement à Paris qu’on a cette sensation étincelante d’être au milieu d’un endroit qui existe plus que les autres – qu’un verre de vin à Paris, la nuit, près d’une fenêtre, se charge de résonances qu’il n’aurait pas ailleurs ? Si l’on boit un verre de vin à Angers, près de la fenêtre, est-ce la même chose ? (il me semble qu’Angers doit être une ville morte à cette heure de la nuit). Ou bien c’est le fait d’être parisienne qui me fait ressentir cela. Il doit se passer des choses formidables dans la Creuse. Ou bien c’est peut-être un truc de capitale. Ou une vue de l’esprit, de l’auto-suggestion, le résultat de 200 ans de bourrage de crâne et d’auto promotion. Je ressens parfaitement ce sentiment d’être exactement au centre d’une histoire, mais je voudrais tant savoir si ça arrive aux habitants de la Creuse, du Guatemala ou de Mongolie. Peut-être ne se posent-ils tout simplement pas la question. D’ailleurs, regarde-t-on à la fenêtre d’un immeuble en Mongolie ?

– Tu n’as jamais ressenti ça, soupire Hana.

Ça n’est pas une question.

Discussion avec vin blanc

– Ou alors, j’ai laissé une conquête avec Sandra, dis-je, et on pouffe : le punch et le vin  blanc, ça me fait pouffer facilement. Hana pouffe aussi, par solidarité, me semble-t-il.

– Elle te racontera ? Alors tu me raconteras, hein. Elle a un copain, en ce moment ?

– Je ne sais plus bien.

– Le type qui l’emmenait à Londres ?

– C’est fini. Je crois qu’ils sont bons amis, ou alors je confonds avec un autre. Mais ça c’est fini tranquille. L’autre, Philippe, il a voulu l’épouser, mais elle s’est dit que ça n’était pas possible, car elle ne l’aimait pas. Après, il y a eu Laurent, mais je la voyais moins, alors je ne sais pas où ça en est entre eux. Et là, c’est Jean-Pierre.

– Fascinant, murmura Hana. Moi, j’ai du mal à en trouver des potables, et elle, ils tombent comme des mouches.

-Mais je ne sais pas si Jean-Pierre t’aurait plu.

– C’est pas pour Jean-Pierre. C’est le principe.

Nous gardons un silence perplexe relativement à Sandra, qui nous fascine un peu. Autant de succès amoureux et un flegme si imperturbable, ça nous épate. Hana ne connait pas très bien Sandra, elles se sont croisés un ou deux fois, mais elle n’en est pas moins fascinée. Puis elle enchaîne sur sa vie sentimentale, beaucoup plus banale. Elle a rompu, à son corps défendant, avec un type dont elle était amoureuse mais qui se moquait d’elle, se servait de chez elle comme d’un pied à terre pour ses sorties dans le nord de la capitale ou lui téléphonait quand il n’avait vraiment rien de mieux à faire. Hana amoureuse s’est laissé faire et puis tout d’un coup elle a dit non ; elle ne regrette pas, intellectuellement ; elle sait qu’elle a fait le bon choix. Mais il lui manque. Son coeur lui rappelle toutes les qualités qu’il avait malgré tout et tous les plaisirs qu’il lui faisait, comme s’il n’avait jamais bafoué ses sentiments.

– Mais tu ne vas pas le rappeler, hein ? demandé-je, inquiète. Et en même temps je me demande de quoi je me mêle.

– Je ne peux pas, m’explique-t-elle. Franchement, j’ai voulu le faire. Mais au moment où je prends le téléphone, le dégoût m’en empêche. Je veux dire que, à ce moment, au moment où je vais appeler, je me projette un peu dans l’avenir, je me vois l’ayant appelé et raccrochant, et je sais que si je le faisais, si je me laissais aller à le faire, je me dégouterais d’avoir été si… veule, de l’avoir appelé, demandé de venir, et même supplié de venir, je me vois l’attendant, en vain, ou jusque très tard… Parce que vois-tu, je l’ai déjà fait, avant, il est déjà arrivé que je l’appelle, que je lui demande de venir parce que je me sens si seule… et il est déjà arrivé qu’il ne vienne pas et que je reste à l’attendre la moitié de la nuit… Et ça, heureusement, je ne peux plus.

Elle garde le silence. On boit un peu de vin.

– Alors je reste là, je ne l’appelle pas, je ne peux pas l’appeler, mais j’aimerai tellement l’appeler, je voudrais tellement qu’il ne soit pas lui, mais un autre. Je voudrais que notre relation soit vraiment ce que j’ai cru qu’elle était. Comment peut-on s’illusionner à ce point sur les gens. Qu’est-ce que ça veut dire ?

– Qu’est-ce que ça veut dire – quoi ?

– Etre à ce point aveugle ? Se tromper soi-même sur la nature d’une relation ?

– Tu crois que tu t’es trompé sur la nature de votre relation ?

J’ai un peu de mal à la suivre, à dire vrai. Elle se trompe peut-être sur la nature de notre relation, et j’ai un peu honte : elle s’apprête à me dire des trucs perso et douloureux et je sens que je vais m’endormir. Je change de position.

Nous sommes là toutes les deux, assises en tailleurs sur le lit, adossées au mur, et Paris nous enveloppe comme un rideau. La lampe de chevet de Hana est recouverte d’un tissu rouge. Les ombres s’allongent, comme des fantômes rougeâtres, dans la pièce. Hana boit son vin tout doucement.

– On a une perception de la relation, dit-elle, une certaine perception, et cette perception colle avec la réalité. Alors, pourquoi en douterait-on ? Je veux dire : on n’a même pas l’idée d’en douter. Tout va bien. Les évènements suivent leurs cours. Ça dure un moment et on est heureux. On a peut-être trop besoin d’être heureux ? s’interroge-t-elle.