Deux semaines après avoir rencontré Pierre-Henri pour la première fois et l’avoir trouvé fort peu intéressant, je me livrai à une introspection, chez moi, assise dans mon lit, un pot de crème à tartiner à la noisette à la main, et ce n’était pas de trop car j’avais besoin de gras (pour faire coulisser les neurones) et de sucres (intensité de la réflexion).
Je me palpai l’intérieur du coeur – il s’agit naturellement d’une métaphore hardie – à la recherche de sentiment amoureux et je me posai la question que je me pose toujours. Si je rigole avec lui, si je le retrouve avec plaisir, si je suis cool et détendue avec lui, si j’ai envie de le revoir quand on se quitte, si j’aime qu’il m’embrasse, et si je sens que tout en l’ayant avertie que non rien de plus car non je ne ressens rien pour lui donc ceinture, je me sens fléchir drôlement – c’est-à-dire – il semble bien que les choses vont évoluer rapidement – en fait, je souhaite qu’elles évoluent – donc – quelle conclusion tirer de tout ça?
Aucune.
J’essaie de me diviser en trois : intellect, corps, coeur. L’intellect dit que c’est cool, le coeur dit qu’il s’en fout, et le corps bon ben alors on y va.
Il est évident que j’ai un certain nombre de siècle de culture judeo chrétienne dans la tête que que ça n’est pas facile. Combien de siècles, d’ailleurs? Tous ces blocages ne viennentils pas du XIXème siècle seulement? En fait, je voudrais bien être amoureuse et je déplore de l’être si peu. Je voudrais bien envisager avec décontraction et sans arrière pensée de plonger joyeusement dans la gaudriole. J’y plonge toujours, mais je culpabilise. Le monde me semble rempli de personnes toutes plus amoureuses les unes que les autres de personnes avec qui elles font l’amour dans la volupté la plus totale et avec qui, après la douche, elles peuvent parler de littérature ou de cinéma (ou de mathématiques appliquées, ou de stratégies de développement dans un environnement concurrentiel si elles veulent).
Suis-je la seule à me retrouver dans des situations insatisfaisantes? Il est probable que non. J’avais besoin de conseils. Je le sentais.
Mais qui appeler?
Car les copines, ce n’est pas si simples. Val ne veut pas entendre parler de sentiments, elle n’a pas le concept, du boulot et un avenir qu’elle espère meilleur (et un copain sur mesure, enfin sur mesure pour elle, il me donne envie de dormir, rien qu’à le voir). Hana est toujours d’accord, quoique je dise. Sandra couche d’abord, un peu tout azimuts, avec un enthousiasme qui force la sympathie, et réfléchit après ; les sentiments, elle ne sait pas trop, c’est un peu comme une digestion difficile, mais en mieux. Je ne sais pas si elle peut m’être d’un grand secours. Il m’en reste plusieurs, de copines, dont Nadine, très dynamique et positive, j’opte donc pour Nadine, et je la somme de m’accorder un entretien pour le lendemain.
(On ne me suggère pas Hedwige, je ne la connaissais pas et de toute façon je ne la sens pas pour ça).
Puis, j’abandonne mes réflexions, qui ne me conduisent que dans de décourageantes impasses, et je me mets à lire. Montesquieu a dit : » Je n’ai guère eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ». On me dira : il n’a pas du vivre des trucs trop atroces, ça tombe bien, moi non plus, grâce au ciel, et la lecture me change toujours les idées. En plus, je suis dans Transpotting, en français, ce qui donne un texte bizarre dans une sorte de non-argot imaginaire assez déconcertant (on suppose que l’auteur traduit un argot britannique, mais il ne le traduit pas dans un argot français, l’argot étant par essence assez difficilement traduisible, ce qui donne une sorte de langue qui n’existe pas, et augmente l’effet étrange du livre…). En tout cas, inutile de vous dire qu’au bout de trois pages, mes interrogations me semblent d’une bourgeoise platitude et je m’endors en me croyant dans le squatt de Berlin, pourquoi Berlin, on ne sait pas…